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Ἕν
Uit: Wijsgerig taalgebruik in de redevoeringen van Gregorius van Nazianze tegen de achtergrond van de neoplatoonse metafysica
© Henri Oosthout | 1986

I 1 — Ἕν

Le développement du dogme de la trinité, qui a mis la défense de l’unicité de Dieu (εἷς Θεός) contre le polythéisme des païens au deuxième plan, et qui a provoqué une discussion sur la relation entre le Dieu unique et les trois Personnes divines, présente le point de départ d’une comparaison entre la notion de Dieu dans la théologie de Grégoire de Nazianze et celle de l’unité dans la métaphysique néoplatonicienne. Dans ses discours Grégoire de Nazianze tâche de faire droit à l’unicité de Dieu et à la pluralité des Personnes divines également: «Les trois sont un et l’unité est un nombre de trois (ἓν τὰ τρία — τὸ ἓν τρία).» La notion d’«unité» et celle de «pluralité» s’appliquent ici au même sujet. Il n’y a pas de distinction de niveau entre Dieu qui constitue une unité et les Personnes divines qui sont trois.

Parmi les Pères de l’Eglise grecs Grégoire n’est pas le premier à souligner à la fois l’unité (τὸ ἕν) et la différenciation (διαίρεσις) de la divinité. C’est cependant bien lui qui s’efforce comme nul autre de garder l’équilibre entre ces deux notions, et qui évite avec soin d’appuyer d’une manière trop étroite, soit sur l’unité, comme le font les Sabelliens, soit sur la pluralité, comme le font les Ariens.

C’est se faire une idée trop simpliste des faits que de supposer que dans la pensée néoplatonicienne le rapport entre unité et pluralité ait toujours un caractère hiérarchique. Au contraire, la notion d’unité dans la diversité, notion qui attribue à la fois 1’unité et la pluralité au même degré d’être, joue un rôle également dans la métaphysique néoplatonicienne.

Plotin fait la distinction entre l’«un véritable (ἓν ὄντως)» et l’«être véritable (ὄντως ὄν)». Cette distinction est une distinction réelle. Dans la hiérarchie des hypostases, c’est l’«un véritable», ou ce qui est un au sens absolu, qui occupe le rang le plus élevé, tandis que l’«être véritable», c’est-à-dire le monde intelligible, occupe la deuxième place. En revanche Grégoire ne fait qu’une distinction d’ordre logique entre Dieu comme «unité (ἕν)» et Dieu comme «ce qui est (ὄν)». Chacune de ces deux notions, dans toute l’acception du mot, s’applique à Dieu: «Unité» et «être» sont «véritablement propres à Dieu (ἴδιον ὄντως Θεοῦ)» et si l’on peut les distinguer par la raison, elles ne se distinguent pas en réalité.

En parlant du monde intelligible, Plotin fait la distinction entre «unité (ἕν)», ou «identité (ταὐτότης)», et «pluralité (πολλά)», ou «différenciation (ἑτερότης)»; cependant, en ce cas les deux notions se rapportent au même niveau. Unité et pluralité sont tous les deux des principes constituants de l’essence (οὐσία) de la deuxième hypostase. Par contre Grégoire ne lie que l’«unité (ἕν)», ou l’«identité (ταὐτότης )», à. l’essence (οὐσία) de Dieu. La «différenciation (διαίρεσις)», c’est-à-dire la différence (διαφορά) entre les Personnes divines, n’appartient pas à l’essence de Dieu; elle est au contraire «autour de l’essence (περὶ οὐσίαν)». Il ne faut pas entendre cette dernière expression dans le sens de «qualité secondaire (συμβεβηκός)». Ce n’est pas comme συμβεβηκός que Grégoire définit l’unité et la pluralité à propos de la divinité, pas plus que ne le fait Plotin à propos de sa deuxième hypostase.

Grégoire dit aussi que la différence entre les Personnes divines est une différence de «manifestation (ἔκφανσις)»". Ce terme, qui se rencontre, semble-t-il, pour la première fois chez Plotin, et qui jouera plus tard un rôle important chez Proclus, est employé par Grégoire dans un sens s’écartant subtilement du sens que les néoplatoniciens y attachent. Dieu se manifeste à sa création de façons diverses, comme des Personnes distinctes. Les Personnes en lesquelles Dieu se manifeste ne sont rien autre que Dieu lui-même. Chez les néoplatoniciens, un degré supérieur d’être se manifeste dans (et non pas: à) un degré inférieur. Alors chez eux le degré inférieur d’être est la manifestation d’un degré supérieur. On peut considérer la façon dont Grégoire emploie le terme ἔκφανσις comme anticipant sur l’emploi que le Pseudo-Dénys en fera plus tard.

La première hypostase de Plotin est «au-delà de l’être (ἐπέκεινα ὄντος)». En parlant de sa deuxième hypostase, Plotin dit qu’elle «enveloppe (περιλαβεῖν)» l’être, ce qui veut dire que la deuxième hypostase, l’intelligence, n’est rien autre que l’être. En disant que Dieu «comprend (συλλαβεῖν)» tout l’être, Grégoire aussi veut dire que Dieu et l’être ne font qu’un, que Dieu est l’être dans sa totalité. Quand Grégoire dit que Dieu se trouve «au-dessus de tout être (ὑπὲρ πᾶσαν οὐσίαν)», il faut que l’on entende cette expression comme: «au-dessus de tout être dont nous pouvons nous faire une idée’, et non comme: «non-être» dans le sens auquel la première hypostase de Plotin «n’est pas».

La première hypostase de Plotin est «simple (ἁπλοῦς)», c’est-à-dire sans aucune différenciation. La deuxième hypostase n’est pas «composée (σύνθετος)»; elle n’est pourtant pas ἁπλοῦς non plus. Selon la terminologie de Grégoire, Dieu est ἁπλοῦς, mais seulement dans le sens de «non-composé», sens différent de celui de ἁπλοῦς chez Plotin. Chez Grégoire σύνθετοσ se rapporte en particulier à une composition d’éléments non-équivalents tels que forme et matière.

En parlant de l’unité divine dans la diversité des Personnes, c’est en antithèses comme ἀδιαίρετος — διῃρημένος, ἀμέριστος — μεμερισμένος, que Grégoire s’exprime de préférence. Plotin fait de même, quand il parle de l’unité différenciée des deuxième et troisième hypostases (ἀδιάκριτος — διακεκριμένος, ἀμέριστος — μεμερισμένος; chez Proclus on trouve en outre ἀδιαίρετος — διῃρημένος). Ce qui frappe, c’est que Grégoire, comme Plotin, impute à la limitation de notre connaissance le paradoxe apparent entre «divisible» et «indivisible»: Dans le monde transcendent divisibilité et indivisibilité sont parfaitement compatibles. Il n’y a que les représentations ou notions que la raison humaine s’en fait (φανταζόμενον, νοούμενον), qui ne le sont pas. C’est la raison, qui «sépare l’inséparable (χωρίζων τὰ ἀχώριστα)».

© Henri Oosthout |